Comme c’est devenu la coutume pour le géant américain du streaming, l’ensemble de la nouvelle saison de House of Cards a été mis en ligne d’un seul coup, c’était le 14 février dernier. Un procédé qui a du sens d’un point de vue stratégique puisque l’ambition de Netflix est clairement de venir chambouler les acteurs en place dans le monde des séries TV et sans doute plus particulièrement les chaînes payantes du câble telles que HBO ou Showtime.
Ce mode de diffusion réduit mécaniquement la durée de la couverture médiatique dont bénéficie la série mais Netflix s’en moque éperdument puisque, en tant que service de vidéo à la demande, celui-ci n’a pas de grille à construire et encore moins d’objectifs d’audience à atteindre sur des créneaux prédéterminés. Le principal objectif du groupe est de proposer du contenu exclusif à ses clients afin de leur donner une raison de plus de s’abonner (ou de le rester).
La disponibilité simultanée de la saison complète offre à chacun la possibilité de regarder la série exactement comme il le souhaite (en marathon dès le premier week-end ou en prenant son temps), ce qui est l’essence même du concept de vidéo à la demande.
Mieux encore, si la couverture médiatique est assez courte, elle est également plus intense, ce qui lui permet de résonner bien au-delà des seuls amateurs de séries.
Bref, sur le plan marketing, ce que fait Netflix est plutôt malin.
En revanche, en tant que téléspectateur, ce mode de diffusion est un peu frustrant car il diminue les échanges possibles entre amateurs (notamment sur les réseaux sociaux) puisque chacun regarde la série comme il le souhaite (ou comme il le peut) sans qu’aucun cadre ne soit donné par le diffuseur, ce qui augmente forcément la probabilité de se faire spoiler pour ceux qui prendront le temps (le risque ?) de regarder la série sur plusieurs semaines voire sur quelques mois.
Immanquablement, cela conduit beaucoup d’amateurs au binge watching avec en corolaire la nécessité de devoir attendre une année entière pour avoir accès à une nouvelle fournée d’épisodes (bon ok, on est vraiment en plein dans la catégorie first world problem ;).
Je suis peut être un peu old school mais, à mes yeux, la récurrence des rendez-vous hebdomadaires et l’attente (dans le sens positif du terme) sont les éléments clés qui définissent l’expérience séries TV.
Je ne suis pas en train de dire que le binge watching devrait être proscrit en toute circonstance – je ne suis d’ailleurs pas le dernier à y avoir recours – mais je vois plus cette pratique comme un moyen de rattraper son retard sur une série. A mon sens, il serait regrettable que cela devienne la norme.

et son vice-président (Kevin Spacey)
Une histoire de format
Pour revenir au cas particulier de House of Cards et avant de s’intéresser au fond, je voudrais m’attarder quelques lignes sur un point purement technique qui m’irrite.
En effet, j’avoue avoir bien du mal à saisir le choix de ne pas cadrer la série en 16/9 (1.77) mais en 2.00, un format1Un récapitulatif des différents formats d’image traditionnels est disponible ici. plutôt atypique.
La différence reste relativement minime (de petites bandes noires en haut et en bas sur une TV 16/9) mais, étant donné que la série n’a absolument pas vocation à être largement diffusée en salle, ce choix fait assez peu de sens.
Autant je respecte le choix de certaines séries britanniques qui sont tournées en 2.35 (Utopia et In the Flesh notamment), car ce format apporte une vraie différence en matière de composition de l’image, autant franchement, du 2.00 en lieu et place du 16/9, c’est surtout prétentieux au possible (« On ne fait pas une série TV mais du Cinéma… Enfin à peu près »).
A mes yeux, ce format 2.00 est une aberration, une sorte de compromis à mi-chemin entre la Télévision et le Cinéma qui laisse penser que, lorsque David Fincher2Pour mémoire, David Fincher (Seven, Fight Club, The Social Network) avait réalisé les deux premiers épisodes de House of Cards l’année dernière. a défini l’identité visuelle de la série, le réalisateur souhaitait utiliser le format 2.35. Une idée que les exécutifs de Netflix lui auraient demandé de tempérer pour quelque chose d’un peu moins radical pour la télévision américaine (Tiens, Netflix ne serait finalement pas si aventureuse qu’elle aimerait nous le faire croire ?).
Que cette hypothèse soit la bonne ou non ne change rien. A l’arrivée, on se retrouve avec un format bâtard qui ne satisfait personne.
Et cette saison 2 dans tout ça ?
Pour commencer, bien qu’absents de l’essentiel du premier épisode de cette nouvelle saison, les moments durant lesquels Underwood (Kevin Spacey) s’adresse à la caméra pour nous expliquer quoi penser sont toujours aussi omniprésents que pénibles.
Alors oui, Underwood est un politicien et cette idée qu’il pourrait chercher à manipuler tout le monde jusqu’au téléspectateur est amusante mais, en pratique, ce gimmick à la subtilité pachydermique est complètement hors de propos, surtout dans dans une série dramatique qui se veut par ailleurs très haut de gamme.

et Remy Danton (Mahershala Ali)
A côté de cela, le casting est toujours excellent (la performance de Robin Wright est notamment très impressionnante) et c’est toujours très beau. Mais avec un budget supérieur à 100 millions de dollars, on voit assez mal comment il pourrait en être autrement.
Le souci est que, sur le fond, la série ne progresse pas et reste globalement assez vaine.
Le cœur du problème pour House of Cards est qu’elle ne sait pas vraiment ce qu’elle veut être et qu’elle alterne constamment entre deux approches qui ne me semblent pas compatibles. D’une part, le sérieux des intrigues et des manœuvres politiques qui fait parfois mouche. De l’autre, un personnage principal que l’on croirait tout droit sorti d’un cartoon et qui n’est rien d’autre qu’un authentique psychopathe (Dexter ou Tony Soprano apparaissent plutôt sains d’esprit à côté de Frank Underwood).
Certes, l’objectif est de montrer que la conquête du pouvoir peut rendre fou mais cela mériterait franchement d’être illustrer plus subtilement que ce qui a été montré depuis deux saisons dans House of Cards.
C’est d’autant plus frustrant que la personnalité de la plupart des autres personnages est nettement plus ambiguë et intéressante que celle de notre anti-héros.
A noter que cette seconde saison de House of Cards débarque sur CANAL+ le 13 mars à 20h55 pour une diffusion un peu plus traditionnelle que sur Netflix (comprendre étalée sur plusieurs semaines).
Attention, ce qui suit contient des SPOILERS sur la saison 2
Le premier épisode de la nouvelle saison se termine avec ce cher Frank Underwood qui – avant de devenir quelques heures plus tard le nouveau vice-président des États-Unis – a le temps de pousser une Zoe Barnes (Kate Mara) un peu trop curieuse sous une rame de métro.
L’effet de surprise est réel mais, dès que celui-ci s’estompe (c’est-à-dire très rapidement), il est difficile de voir cette séquence pour autre chose que ce qu’elle est à savoir du grand-guignol à l’état pur.
La conclusion de la saison – aussi prévisible que convenue – est amenée sans plus de subtilité puisque le président Walker (Michael Gill) cède – presque avec plaisir – son fauteuil à celui-là même qui l’a manipulé tout au long de la saison.
Le pire est que Walker s’est rendu compte à de multiples reprises des intentions de son dauphin et qu’il a même tenté de le faire plonger mais, armé de sa plus belle plume (?!?), Frank Underwood réussi à complètement renverser la vapeur et à devenir le nouveau président des États-Unis (?!?!?!?).
Le problème est que tout cela tout cela n’est guère crédible et que l’on a bien du mal à ne pas voir les énormes ficelles mises en œuvre par les auteurs.
Et ne parlons pas de cette scène d’amour à trois – suggérée – entre le couple Underwood et un garde du corps dont je peine à saisir l’intérêt.
C’est bien simple, cette séquence est soit totalement inutile, soit extrêmement moralisatrice (en admettant que l’idée des auteurs ait été d’illustrer le niveau de dépravation du couple Underwood par… une partie à trois. C’est sûr que, en comparaison, pousser une journaliste sous un métro passerait presque inaperçu).
Je suis également assez sceptique face au traitement de l’intrigue avec le hacker travaillant contre son gré pour le FBI. J’ai la désagréable impression que ce fil de la saison a été écrit avant que l’affaire Snowden n’ait éclaté alors que l’intrigue aurait largement bénéficié de s’être nourrie d’une actualité qui s’est révélée particulièrement édifiante depuis l’été dernier.

et Jackie Sharp (Molly Parker)
Si je devais retenir un point positif de cette saison, ce serait sans doute le personnage de Jacqueline Sharp (Molly Parker) qui se présente comme une future adversaire intéressante pour Underwood puisqu’elle partage une même soif de pouvoir (je la verrais bien devenir présidente à la fin de la série) sans que cela n’empêche son personnage d’être nettement plus nuancé que celui incarné par Kevin Spacey.
Enfin, les répercussions de la conclusion de l’intrigue entre Rachel Posner (Rachel Brosnahan) et Doug Stamper (Michael Kelly) pourraient être intéressantes (en revanche, tout le développement qui nous y a conduit était franchement sans intérêt) dans le sens où elle risque de mettre en difficulté Underwood pour quelque chose qu’il n’avait pas forcément prévu ni même voulu.
Avec un peu de chance (l’espoir fait vivre), on pourra enfin sortir du schéma dans lequel Underwood a toujours 50 coups d’avance sur ses adversaires qui font finalement toujours exactement ce qu’il attend d’eux…
Après 26 épisodes de House of Cards, il serait vraiment temps.
- 1Un récapitulatif des différents formats d’image traditionnels est disponible ici.
- 2Pour mémoire, David Fincher (Seven, Fight Club, The Social Network) avait réalisé les deux premiers épisodes de House of Cards l’année dernière.