Dans la foulée du succès de True Detective sur HBO, les anthologies ont le vent en poupe et il ne fait pas de doute que bon nombre de producteurs se demande en ce moment comment ils vont pouvoir surfer sur ce phénomène.

American Horror Story, un projet nettement plus foutraque, avait ouvert la voie en 2011, c’était après une petite pirouette puisque lors de son lancement la série n’avait pas été présentée comme une anthologie. C’est à quelques épisodes de la fin de la première saison que Ryan Murphy révéla que le season finale clôturerait totalement l’intrigue tandis que la seconde saison s’inscrirait dans un tout nouveau contexte.
Un peu plus tard, on appris que certains des acteurs (et notamment Jessica Lange) rempileraient la saison suivante tout en incarnant de nouveaux personnages ce qui constituait un bon moyen de conserver un minimum de lien à l’écran entre les différentes saisons (ce que True Detective ne devrait pas faire).

American Horror Story
American Horror Story – Saison 1

Dans le cas de True Detective, le format – forcément aidé par un budget que l’on devine très confortable – est ce qui a permis à HBO de s’attacher les services de comédiens aussi prestigieux que Woody Harrelson et Matthew McConaughey (Oscarisé cette année1Matthew McConaughey a obtenu un Oscar mérité pour son rôle dans Dallas Buyers Club mais on peut se demander dans quelle mesure le buzz autour de sa prestation dans True Detective a pu peser au moment des votes.).

McConaughey2La prestation de Harrelson est également très convaincante mais son rôle de passif-agressif est nettement moins spectaculaire que le Cohle incarné par McConaughey. et son interprétation magnétique de flic tourmenté ont vraiment été au cœur des discussions durant toute la saison et ont beaucoup joué dans l’adhésion publique et critique3Le principal reproche que l’on peut formuler à True Detective concerne le caractère assez unidimensionnel de ses personnages secondaires. que la série a très vite emporté. Il est évident qu’un tel coup en terme de casting n’aurait pas été possible sur une série traditionnelle qui aurait engagé ses comédiens sur plusieurs saisons.

Si HBO n’a pas encore confirmé la mise en chantier d’une seconde saison, Nic Pizzolatto – l’auteur – ne se gêne pas pour en aborder les grandes lignes au détour d’interviews et on imagine que la chaîne Premium attend surtout d’avoir un casting cinq étoiles à annoncer pour officialiser ce qui n’est à l’évidence qu’un secret de polichinelle.
A moins que ce ne soit une autre des qualités aveuglantes de la première saison qui concentre les efforts de HBO à savoir la réalisation. En effet, Cary Fukunaga a annoncé qu’il ne poursuivrait pas l’aventure la saison prochaine en tant que réalisateur4Cary Fukunaga sera producteur exécutif sur la seconde saison ce qui lui assure un gros chèque mais ne garantit nullement son implication réelle. et il faut lui trouver un successeur.
HBO a vraiment une carte à jouer, le succès de la série devrait lui permettre d’attirer encore plus facilement des comédiens de haut vol et pourquoi pas un grand réalisateur ou à défaut plusieurs mais cela s’éloignerait de l’approche prise sur la première saison durant laquelle Fukunaga a vraiment apporté sa vision et ses choix5Paradoxalement, c’est son plus gros morceau de bravoure technique qui me laisse le plus perplexe avec le recul. En effet, son plan séquence de 6 minutes dans l’épisode 4 a beau être une sacrée prouesse, il reste finalement assez vain bien qu’il illustre parfaitement le budget luxueux dont la série a bénéficié..

Quoi qu’il en soit, la vraie difficulté pour Pizzolatto et HBO est qu’ils se trouvent aujourd’hui au pied du mur en ayant absolument tout à reconstruire pour une nouvelle saison. Une nouvelle saison qui sera très attendue suite au succès de la précédente.
Si True Detective s’inscrit vraiment dans la durée, Pizzolatto va se retrouver tous les ans devant une page blanche, espérons qu’il supporte bien la pression…

Nouvelle vague d’anthologies, réinvention de la mini-série ou simple passade ?

Historiquement, les anthologies à la télévision étaient généralement une succession de récits unitaires autour d’un genre particulier, majoritairement le Fantastique ou l’Horreur (La Quatrième dimension, Les Contes de la crypte ou plus récemment Masters of Horrors) mais parfois également le Polar (Alfred Hitchcock présente).

La Quatrième dimension
La Quatrième dimension

La particularité de la nouvelle vague qui s’annonce est que les récits sont étalés sur plusieurs épisodes, ce qui les rapproche finalement d’une autre catégorie télévisuelle assez traditionnelle : les mini-séries6C’est d’ailleurs dans les catégories relatives aux mini-séries que FX a proposé American Horror Story aux Emmy Awards..

En étant un tout petit peu cynique, on pourrait se dire que la structure de True Detective n’est rien d’autre qu’une réinterprétation opportuniste du genre de la mini-série.
Assez étrangement, jusqu’à présent, l’écrasante majorité des mini-séries étaient conçues comme des projets one-shot et leur degré de succès n’y changeait rien. On peut aisément imaginer que cette approche va changer et que les producteurs se poseront dorénavant toujours la question de savoir si leur concept de mini-série a le potentiel d’être transformé en anthologie.
A moins que l’effet ne soit plus profond encore et que les producteurs ne viennent à favoriser les projets pensés comme des anthologies potentielles au détriment de mini-séries plus traditionnelles.

La mini-série Band of Brothers
La mini-série Band of Brothers

On pourrait ensuite se demander si ce nouveau format pourrait prendre de l’importance par rapport aux séries classiques dont les intrigues s’étalent sur plusieurs saisons.
Une telle hypothèse me semble hautement improbable car si ce nouveau format est séduisant sur le papier, il reste néanmoins très loin d’être une garantie de succès.
Si l’indépendance des intrigues peut se révéler être un atout lorsqu’il s’agit d’attirer de nouveaux aficionados quand une nouvelle saison commence, cela peut vite devenir un sérieux handicap en matière de rétention des téléspectateurs, car si on pardonne volontiers un passage à vide dans une série dans laquelle on s’est véritablement investie7La plupart des fans de Dexter ont détesté les dernières saisons de la série, mais ont néanmoins regardé la série jusqu’au bout… On pourrait sans doute dire la même chose de How I Met Your Mother. Deux exemples qui illustrent bien la grande force du format classique de séries TV qui en cas de succès parvient à créer un lien extrêmement fort et durable avec le téléspectateur., c’est nettement moins évident lorsqu’il s’agit d’une anthologie.

American Horror Story a subi ce phénomène en saison 2 avec un effritement significatif de son audience. Ceci dit, cela n’a pas empêché la troisième saison de la série d’afficher de très bons scores.

Du point de vue du téléspectateur, l’anthologie offre la garantie d’obtenir une intrigue complète, mais sur les chaînes du câble (qui sont pour le moment les seules à se livrer à l’exercice), cela ne change pas grand chose puisqu’il est vraiment rare que ces dernières ne laissent une série totalement inachevée pour la simple raison que leur mode de production pour les séries est radicalement différent de celui des networks8Les saisons des séries du câble comptent moins d’épisodes et sont le plus souvent mises en boîte avant la diffusion du premier épisode. Les séries de network sont quant à elles généralement produites au fil de l’eau, ce qui permet d’en interrompre la production en cas d’audiences inférieures aux attentes..

En revanche, sur les networks justement, la promesse est séduisante ou tout au moins intrigante.
A titre personnel, j’ai de plus en plus de mal à m’engager sur de nouvelles séries de network car j’ai le sentiment que la plupart entre (ou va entrer) beaucoup trop facilement dans l’une des catégories suivantes :

  • Formula show.
  • Annulée trop vite sans conclusion satisfaisante.
  • Va durer bien au delà du raisonnable.
Matthew McConaughey dans True Detective
Matthew McConaughey dans True Detective

Il est assez rare de voir une série de network se terminer au moment où elle le devrait pour la bonne et simple raison que la logique des exécutifs est de rentabiliser ce qui fonctionne jusqu’à la corde (je schématise mais il n’y a vraiment pas beaucoup de contre-exemples en dehors du câble).
Du coup, du point de vue du téléspectateur, les anthologies seraient la promesse d’histoires complètes et potentiellement plus satisfaisantes sur les networks… Mais côté production, cela demanderaient vraisemblablement plus de moyens (pas de possibilité d’amortir les décors d’une saison sur l’autre par exemple, probable nécessité d’augmenter les dépenses marketing) sans aucune garantie de succès pour les raisons évoquées plus haut.
Le côté évènementiel de ce genre de projets pourrait présenter un intérêt en terme d’image, tout particulièrement dans un contexte dans lequel les chaînes ne vont pas pouvoir longtemps éviter de repenser leur modèle face à l’évolution rapide et drastique de la manière dont les téléspectateurs consomment les contenus télévisuels mais, même à ce titre, j’avoue rester assez sceptique.

Les années à venir nous montrerons si American Horror Story et True Detective marquent le début d’une nouvelle vague(lette) ou s’ils resteront des projets à part dans le paysage télévisuelle.

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    Matthew McConaughey a obtenu un Oscar mérité pour son rôle dans Dallas Buyers Club mais on peut se demander dans quelle mesure le buzz autour de sa prestation dans True Detective a pu peser au moment des votes.
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    La prestation de Harrelson est également très convaincante mais son rôle de passif-agressif est nettement moins spectaculaire que le Cohle incarné par McConaughey.
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    Le principal reproche que l’on peut formuler à True Detective concerne le caractère assez unidimensionnel de ses personnages secondaires.
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    Cary Fukunaga sera producteur exécutif sur la seconde saison ce qui lui assure un gros chèque mais ne garantit nullement son implication réelle.
  • 5
    Paradoxalement, c’est son plus gros morceau de bravoure technique qui me laisse le plus perplexe avec le recul. En effet, son plan séquence de 6 minutes dans l’épisode 4 a beau être une sacrée prouesse, il reste finalement assez vain bien qu’il illustre parfaitement le budget luxueux dont la série a bénéficié.
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    C’est d’ailleurs dans les catégories relatives aux mini-séries que FX a proposé American Horror Story aux Emmy Awards.
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    La plupart des fans de Dexter ont détesté les dernières saisons de la série, mais ont néanmoins regardé la série jusqu’au bout… On pourrait sans doute dire la même chose de How I Met Your Mother. Deux exemples qui illustrent bien la grande force du format classique de séries TV qui en cas de succès parvient à créer un lien extrêmement fort et durable avec le téléspectateur.
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    Les saisons des séries du câble comptent moins d’épisodes et sont le plus souvent mises en boîte avant la diffusion du premier épisode. Les séries de network sont quant à elles généralement produites au fil de l’eau, ce qui permet d’en interrompre la production en cas d’audiences inférieures aux attentes.

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